Coorganisé par l’Initiative pour l’étude des catholiques asiatiques (Isac) et le Centre d’études mariales, un colloque en ligne (1) analyse, du mercredi 10 au vendredi 12 mai, les différentes formes de dévotion mariale dans les religions non chrétiennes en Asie. Le théologien et anthropologue Michel Chambon (2) revient sur ses enjeux.
- Recueilli par Malo Tresca, La Croix
La Croix : Comment des formes de dévotion mariale se sont-elles intégrées dans le panthéon des différentes traditions religieuses en Asie et comment se manifestent-elles ?
Michel Chambon : Beaucoup connaissent la grande popularité de la Vierge Marie chez les chrétiens catholiques et orthodoxes, mais ils ignorent généralement qu’elle est aussi vénérée par les fidèles d’autres religions – dans l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme ou encore le taoïsme. Sans faire nécessairement partie de leur enseignement « officiel », sa figure attire tout de même. Cela est particulièrement intéressant sur le continent asiatique, où les différentes traditions religieuses sont très présentes et vivaces.
Dans le sud de l’Inde, par exemple, des hindous se rendent sur des sites de pèlerinage marial, comme à Notre-Dame de Vailankanni (Tamil Nadu): suivant une approche qui s’apparente beaucoup à leur manière de prier les divinités hindoues, ils viennent y faire des offrandes, confier à la Vierge des problèmes de maladie, des proches… Des choses similaires s’observent du côté du bouddhisme en Chine ou au Japon. En Asie du Sud-Est, cette forme de dévotion s’ancre dans une longue tradition, qui remonterait au VIe siècle, selon laquelle Marie peut s’identifier à Guānyīn, le bodhisattva de la miséricorde.
Dans le sud du continent, la piété pour Marie s’est encore développée après l’arrivée des portugais en Inde à la fin du XVe siècle. Ailleurs, elle a pu émerger jusque très récemment. Historiquement, les racines de cet attachement à Marie sont ainsi protéiformes : elle apparaît bien, comme l’attestent encore de récentes recherches, comme la figure religieuse la plus universelle du monde contemporain.
Quelle importance symbolique Marie revêt-elle pour ces croyants d’autres religions ?
M. C. : Pour donner un sens à cette présence pan-religieuse de Marie en Asie, certains prétendent que les dévotions mariales reflètent des pulsions primordiales liées à la fertilité et à la maternité. Or, cela paraît réducteur, et erroné ; déjà parce qu’il y a une grande diversité des pratiques selon les différentes traditions culturelles et religieuses, et ensuite parce qu’il n’y a pas de sorte de « culte » à la féminité ou à la fertilité dont Marie serait finalement l’incarnation – ce qui reviendrait à la cantonner à son identité sexuelle ou maternelle.
Cela est bien plus complexe et réfléchi. Prenons l’exemple de l’Origine du Soi, ce nouveau mouvement religieux non chrétien d’inspiration taoïste basé à Singapour, qui attire des milliers de disciples en Malaisie, à Taïwan, à Hong Kong… Selon son gourou, tous les êtres humains ont la capacité d’atteindre un état supérieur par la méditation mentale, les offrandes et les actions vertueuses. Dans ce mouvement, Marie apparaît comme celle qui a médité les choses dans son cœur et a donné naissance à un être supérieur.
De même, avant d’être considérée comme une mère, Marie est vénérée par des hindous parce qu’elle appartient au monde supérieur des divinités qui sont, par essence, capables de transformer les choses.
Comment sont perçus ces emprunts syncrétiques par l’Église catholique localement ?
M. C. : Là encore, il faut souligner l’immense diversité des situations. Et c’est encore différent selon que l’on se positionne du point de vue du clergé, de l’institution, des fidèles, ou encore des théologiens… Le catholicisme est une nébuleuse infinie! Globalement, ces emprunts peuvent susciter de l’embarras ou de la méfiance, ou au contraire être mobilisés pour manifester une forme de proximité, une affinité du catholicisme avec une tradition locale.
Par exemple, les évêques de Taïwan ont organisé il y a quelques années un immense pèlerinage marial à travers toute l’île, en portant une Vierge de paroisse en paroisse et dans des temples taoïstes. Le spectre des régulations de ces manifestations – comme de leur réception par la population – est ainsi très large d’un lieu à un autre ; mais elles méritent d’être vraiment respectées. L’universalité de Marie peut à mon sens nous aider à renouveler notre propre compréhension du catholicisme et de ses relations interreligieuses.
(1) www.isac-research.org/asianmary2023
(2) Coordinateur de l’Isac